UN NOUVEAU PONT SUR LA LOIRE A MARDIE (ORLEANAIS)

Orléans, le 14 Mars 2016

 

Objet: CONTRIBUTION A L'ENQUETE PUBLIQUE, PONT SUR LA LOIRE A MARDIE

 

rédigée par le Dr Florine POPELIN-WEDLARSKI, secrétaire Vet'Eau Pêche

 

La Loire est le dernier grand fleuve sauvage de France. Chacun est sensible à ses paysages naturels somptueux, à la diversité de sa faune et de sa flore : 150 espèces d'oiseaux, pas moins de 32 espèces de libellules, et des mammifères aussi emblématiques que le castor, pour n'en citer que quelques-uns. L'UNESCO, en la classant au patrimoine mondial de l'humanité, a reconnu cette richesse et souligné l'importance de la protéger.

Au milieu du tableau réapparait un projet de pont, vieux de 20 ans, qui s'implanterait sur un des sites les plus somptueux de ce grand fleuve, classé Natura 2000. On nous expose ses qualités architecturales, son intégration dans le paysage, les compensations écologiques... Mais un ouvrage de l'Homme peut-il réellement s'inscrire dans un espace aussi sauvage sans le dénaturer? Le passage de 10 000 véhicules par jour ne saurait-il perturber la nidification du Balbuzard pêcheur ou le ballet des sternes? Existe-t-il une compensation écologique suffisante face à la dégradation d'un espace si bien préservé jusque là? Nous ne le pensons pas. Il y a quelques années, à Dresde, la construction d'un pont de déviation du centre-ville sur l'Elbe a fait perdre à la ville son classement au patrimoine mondial de l'Unesco. Risquerons-nous une telle déchéance internationale?

Dans la zone concernée par le projet, la Loire créé, par les mouvements de ses bancs de sables, une dynamique hydrogéologique très particulière qui provoque un passage fluvial souterrain alimentant le Loiret, résurgence qui donna son nom au département. L'installation d'un pont, par l'implantation de ses piliers, risque de perturber ce phénomène, menaçant la régularité et le débit de l’alimentation en eau des sources du Loiret. Ce risque n'apparait pas convenablement évalué et il nous semble déraisonnable d'en faire abstraction.

Nous entendons les raisons invoquées telles qu'elles étaient formulées en 1996, lorsque ce projet a été lancé : désengorger Jargeau, Darvoy et St-Denis-de-l’Hôtel du trafi c qui les traversait. Encore aujourd'hui, ce sont 15000 véhicules par jour, dont 10% de poids lourds, qui traversent le pont. A l'époque, dévier la route semblait une bonne idée, d'autant que les prévisions estimaient une augmentation du trafic de 2% par an. Or, depuis 2000, le trafic baisse de 1% par an, il est actuellement 25% en deça des prévisions de l’époque. C'est là une bonne nouvelle qui rebat les cartes, car depuis 20 ans notre vision du monde a changé. Le règne du tout automobile amorce son déclin. Les engagements de l'Etat sont clairs : Grenelle de l'Environnement, COP 21. Il faut limiter notre impact sur l'environnement, il faut faire baisser en urgence les émissions de gaz à effet de serre. L'importance, la valeur de l'environnement sont reconnues. Les citoyens l'ont déjà compris : le tourisme vert est capable de dynamiser économiquement une région, la Loire à Vélo est un succès,

 

l'agriculture locale, majoritaire dans cette zone du Val de Loire (agriculture maraîchère de proximité) permet une meilleure qualité de vie aux agriculteurs et est révélateur d'un engagement citoyen de la population. Le département se doit de suivre cette dynamique, portée à la fois par le haut (l'Etat) et le bas (la population).

Une nouvelle route appelle toujours à plus de circulation. Il est illusoire de penser qu'elle ne permettra que de dévier la circulation actuelle. D'une part, celle-ci est majoritairement composée de véhicules qui desservent Jargeau et les communes alentours, et qui continueront à passer sur l'ancien pont. D'autre part, les prévisions annoncent 10 000 véhicules sur l'ancien et... autant sur le nouveau pont, soit une augmentation de 30% de la circulation, majoritairement en attirant les poids lourds en transit, exactement ce que nous reprochons au réseau routier actuel. Sans supprimer les nuisances à Jargeau, Darvoy ou St Denis de l'Hotel, ce nouveau pont offrira les mêmes à Sandillon et Mardié, aujourd'hui épargnés, qui verront leur trafic doubler.

Nous comptons tous sur nos élus pour construire l'avenir, et non pour appliquer les solutions du passé. La conciliation entre les impératifs socio-économiques et écologiques passe par des solutions alternatives : moderniser l'ancien pont (par la création d'une passerelle piétons et cyclistes par exemple), pour fluidifier la circulation (en aménageant des giratoires et en reprogrammant les feux tricolores de chaque côté du pont), pour améliorer le confort de vie des riverains (en installant des protection anti-bruits). Avec les 80 millions d'euros de budget prévus pour le nouveau pont, beaucoup de progrès peuvent être faits autour de l'existant. Il restera encore du budget pour améliorer le réseau de transports en commun, encourager le développement du trafi c ferroviaire, développer des innovations qui contribueront à faire remarquer notre département pour ses initiatives ambitieuses et écologiques, tournées vers l'avenir. La réelle modernisation n'est pas ailleurs.

Nous, vétérinaires, sommes soumis dans notre pratique quotidienne à une obligation de moyens. C'est à dire que nous avons obligation de traiter nos patients conformément aux connaissances les plus récentes de la médecine. Cela participe du contrat de soins implicite qui nous lie avec les propriétaires des animaux qui nous sont confiés. Comment réagirait un propriétaire si on lui proposait de soigner son animal avec un traitement vieux de 20 ans, aux effets secondaires nombreux et irréversibles, alors que de nouveaux traitements, plus efficaces, moins délétères, sont aujourd'hui disponibles? Vous aurez saisi le parallèle: est-il convenable de proposer à la population une solution surannée, dépassée par les évolutions de la société et les principes fondamentaux de développement durable? Assurément, non.

En vous remerciant pour l'attention portée à nos arguments déposés à l'enquête publique en défaveur du projet de pont sur le Loire, nous vous prions d'agréer l'expression de nos sentiments distingués.

 

Dr LAIZEAU Yann Président Vet'Eau Pêche